Après le Maroc et la Libye : Le Sénégal, nouveau hub de la Migration clandestine ?
Le phénomène, dont le nom de baptême fit aussitôt florès, naquit en 2006.
Barça walaa Barssax (Barcelone ou la mort) fut en effet le cri de ralliement de milliers de jeunes Sénégalais qui prirent d’assaut la mer pour rallier les iles Canaries, un archipel espagnol.
Un marché du travail famélique, une politique d’emplois scorbutique, un taux de natalité et d’échec scolaire adipeux sur lesquels se greffa un pillage systématique et systémique des ressources halieutiques du Sénégal venaient d’avoir raison des derniers reflexes de défense du moi d’une bonne partie de la jeunesse dont le quotidien oscillait entre le spleen et la sinistrose.
Un phénomène qui dura quatre années avant d’entamer une décrue.
Non parce que les bourgeons de l’espoir avaient commencé à éclore par un providentiel printemps de l’emploi et du travail, mais juste parce que le flux de jeunes avait bifurqué, dévié vers la Libye où la guerre civile en 2010 avait fait sauter le verrou qui protégeait jusque-là l’Europe d’une migration de masse.
Pendant plus d’une décennie, la jeunesse Sénégalaise, à l’image de celles d’autres paya africains, avait tracé son sillon à travers le désert du Sahara avec Agadez au Niger comme point focal et Tripoli ou Misrata comme destination.
Objectif ? gagner Lampedusa, une petite ile au sud de l’Italie.
La Libye venait ainsi de détrôner le Maroc comme principal point de départ des migrants vers l’Europe.
La montée en puissance de l’opération Frontex et la dotation par l’Union européenne (surtout par la Droite italienne de l’ex ministre de l’intérieur Mattéo Salvini) de moyens de surveillance aux garde-côtes libyens, finirent par produire leurs effets.
Les migrants interceptés par les garde-côtes même en haute mer, sont retournés en Libye où ils retombent dans l’enfer qui était leur quotidien depuis qu’ils y avaient mis leurs pieds.
Pour contourner l’obstacle, ils traversent aujourd’hui la frontière pour Sfax, la deuxième ville tunisienne.
Le Maroc verra lui aussi l’intérêt que lui portaient les migrants décroitre.
En avril 2021, le séjour dans un hôpital espagnol de Brahim Ghali, le chef du Front Polisario qui revendique l’indépendance du Sahara occidental n’avait pas plu au Maroc qui en représailles, laissa passer 5000 migrants à Ceuta, l’enclave espagnole au Maroc, créant la panique à Madrid. La crise diplomatique sera résolue par la reconnaissance par l’Espagne de la souveraineté du Maroc sur le Sahara et la promesse par le Maroc de mieux lutter contre la migration.
Les violences policières qui avaient fait 37 morts en juin 2022 parmi les migrants portent la marque de cet engagement du royaume chérifien.
Le renforcement et le durcissement des mesures sécuritaires autant en Libye qu’au Maroc, ont poussé les migrants à chercher d’autres voies d’entrée en Europe et expliquent la résurrection de Barça walaa Barssax au Sénégal.
En interne, aux causes de départ déjà citées, sont venues s’ajouter d’autres qui n’existaient pas en 2006, notamment la pandémie du Covid 19 qui a aggravé la crise économique, un climat social et politique délétère et surtout les premiers effets néfastes des Nouvelles routes de la soie.
Ce projet pharaonique chinois qui repose sur les infrastructures, le commerce et le Numérique est en train de tuer des milliers d’emplois au Sénégal et fermer autant d’ateliers et de boutiques.
Les chinois inondent en effet nos rues de tonnes de marchandises dont l’essentiel sont de piètres copies des produits de nos artisans : chaussures, bijoux, poteries, bonnets, encensoirs, fleurs…
Même les articles de séduction des sénégalaises sont copiés et déversés sur le marché à vil prix.
L’ampleur du nouveau Barça walaa Barssax, la multiplicité des nationalités qui prennent les pirogues (Bissau guinéens, Maliens, Mauritaniens, Guinéens) et sa féminisation, font craindre que le Sénégal soit en train de devenir le nouveau point de départ des migrants vers l’Europe.
Avec un nombre de morts beaucoup plus élevé qu’en Libye et au Maroc.
En Effet Lampedusa est distant de Tripoli et Sfax (Méditerranée centrale) respectivement de 300 et 150 km et le Maroc de 15 km de l’Espagne (Méditerranée occidentale) par le Détroit de Gibraltar.
Il faut par contre parcourir 1 676 km pour rallier le Sénégal aux Canaries par l’océan Atlantique, qui plus est, à bord de vieilles pirogues décrépites et surchargées.
Qui ne sont d’ailleurs pas faites pour la haute mer.
Serigne Mbacké Ndiaye
Ecrivain, auteur de L’Odyssée des migrants