Prytanée militaire de Saint-Louis : mais qui est Charles N’Tchoréré ?
SOUVENIR. Cette école d’excellence du Sénégal a crée l’événement autour de son centenaire ce 11 février. Elle porte le nom d’un héros français venu du Gabon. Toute une histoire.
Avec comme devise « Savoir pour mieux servir », le Prytanée militaire de Saint-Louis s’est progressivement hissé au rang des meilleurs établissements d’enseignement du Sénégal. École militaire d’excellence, elle est sise à Dakar-Bango, à quelque dix kilomètres de la ville de Saint-Louis du Sénégal, là même où le général Louis Faidherbe concrétisa la création en juillet 1857, à la suite d’un décret pris à Plombières-les-Bains par Napoléon III, du corps des Tirailleurs sénégalais.
Créé en février 1923, cet établissement a recruté et recrute toujours, à l’issue d’un concours très sélectif réservé aux élèves des cours moyens de 2e année (CM2), des enfants originaires du Sénégal, mais aussi d’autres pays africains aussi bien d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina, Mali, Guinée…) que d’Afrique centrale (Centrafrique, Congo, Tchad…). Cela en fait un espace de brassage interafricain, d’où le thème choisi pour cette commémoration : « 100 ans d’excellence et d’intégration africaine ».
À côté du dévouement, du désintéressement et de l’intégrité, l’excellence fait partie des valeurs cardinales entretenues auprès des quelque 65 élèves recrutés tous les ans. Ce n’est donc pas un hasard si le Prytanée militaire de Saint-Louis continue de fournir des cadres à la haute administration civile et militaire de nombreux pays africains, au top management d’entreprises dans tous les domaines et, cerise sur le gâteau, à avoir compté parmi ses anciens élèves (on les appelle anciens enfants de troupe) Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021 pour La Plus Secrète Mémoire des hommes.
Pour ce centenaire exceptionnel célébré ce 11 février et présidé par le chef de l’État sénégalais Macky Sall, l’école, appuyée par l’État-major général des armées, l’Amicale des anciens enfants de troupe, a fait assaut de citoyenneté avec une grande collecte d’aliments et d’articles au bénéfice des populations de son environnement immédiat, l’organisation de consultations médicales gratuites, le déploiement d’un hôpital de campagne et le nettoyage de cimetières catholiques et musulmans. En attendant la tenue d’au moins une dizaine de conférences étalées tout au long de l’année 2023, quinze délégations étrangères et 1.600 personnes ont été reçues à Saint-Louis pour les festivités.
Mais quel rapport précisément entre Charles N’Tchoréré et le Prytanée militaire de Saint-Louis ?
En 1939, seize ans après sa création, l’École des enfants de troupe est placée sous le commandement du capitaine N’Tchoréré. En 1973, à l’occasion du cinquantenaire, après qu’elle a présenté pour la première fois des candidats au Brevet d’études du premier cycle du second degré (BEPC) en 1953 et
qu’elle est désormais appelée École militaire préparatoire africaine (EMPA), l’école est rebaptisée Prytanée militaire Charles N’Tchoréré de Saint-Louis.
Au lendemain de la sortie du film Tirailleurs de Mathieu Vadepied avec Omar Sy, alors que les relations militaires entre la France et certains pays africains semblent chahutées et entrer dans une période de grosse turbulence dans une atmosphère de défiance à l’endroit de l’ex-puissance coloniale, il est intéressant de se replonger dans la vie d’un officier inspirant sur la trajectoire d’une intégration africaine déjà en marche avant les Indépendances.
Charles N’Tchoréré, il était une fois…
C’est le 15 novembre 1896 que Charles N’Tchoréré naît au Gabon, à l’époque une colonie française de l’Afrique Équatoriale française (AEF). Son parcours de vie s’achèvera au champ d’honneur le 7 juin 1940 à Airaines du fait d’un acte anti-militaire d’un soldat de la division de panzers de Rommel qui ne supportait pas de voir ce capitaine noir de l’armée française revendiquer un traitement d’officier alors que sa compagnie se rendait faute de munitions. D’ailleurs, tuer Charles N’Tchoréré n’aura pas suffi. Un char allemand lui roulera dessus pour le broyer. Qu’importe, son honneur était sauf et c’est bien là l’essentiel. Ainsi, à chaque fois que sera commémoré le Débarquement de Normandie, prélude à des victoires décisives contre toutes les barbaries, il conviendra de réveiller la mémoire d’un homme qui a fait son devoir et tenu à défendre son honneur de soldat jusqu’au bout.
Il est engagé dès la Grande Guerre
Charles N’Tchoréré se trouve au Cameroun quand la guerre éclate en 1914. Employé dans une entreprise tenue par des Allemands, il retourne dans son pays d’origine, le Gabon, une colonie de l’Afrique Équatoriale française, pour échapper à d’éventuelles représailles. Les combats font rage et s’éternisent. La France a besoin de bras valides. Elle fait donc appel à ses « indigènes ». Avec l’accord de son père, Charles s’engage en 1916. À la fin de la guerre, il sera élevé au grade de sergent. Il décide par la suite de faire carrière dans l’armée française. Pour sa première mission, il est envoyé au Maroc où un certain Abdel el-Krim et ses hommes ont pris les armes pour réclamer une République sécessionniste. Nous sommes en 1919.
Il passe par l’École des officiers d’outre-mer de Fréjus
Dès son retour en France, Charles N’Tchoréré intègre l’École des officiers d’outre-mer de Fréjus. Il en sort major en 1922. Puis il part de nouveau en mission. Direction la Syrie. Charles N’Tchoréré aura moins de chance cette fois. Il est grièvement blessé à la mâchoire au cours des combats. On lui décerne la Croix de guerre avec étoile d’argent pour son courage exemplaire. Remis de sa blessure, il est affecté dans l’administration. Il rédige des articles pour La Revue des troupes coloniales et un rapport sur la promotion sociale des sous-officiers indigènes. Il demande ensuite sa mutation au Soudan où il prend le commandement de la compagnie hors rang du 2e Régiment des tirailleurs sénégalais à Kati. Il dirige parallèlement une école des pupilles de l’armée. En 1933, Charles N’Tchoréré est nommé capitaine. Une belle fin de carrière en perspective l’attend au Sénégal à la tête du 1er régiment des tirailleurs sénégalais.
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La Seconde Guerre mondiale déclarée, il revient en métropole pour combattre
Mais lorsque la France et l’Allemagne entrent en guerre en septembre 1939, il abandonne tout et vole au secours de la métropole. Il prend le commandement de la 5e compagnie du 53e Régiment d’infanterie colonial mixte sénégalais. Ses hommes et lui ont pour mission de défendre la commune d’Airaines, près d’Amiens, de la menace nazie, ce qu’ils vont faire avec bravoure malgré les difficultés de communication. Quelques éléments de sa troupe, des Africains, ne parlent pas français. Mais Charles N’Tchoréré sait les galvaniser. Et quand, le 5 juin 1940, les Allemands commencent à bombarder la bourgade, le bataillon ne plie pas. Il résiste et tient tête à l’armée allemande qui perd huit de ses chars. Une soixantaine d’Allemands sont faits prisonniers.
Malheureusement, les Français sont à court de munitions. Ils tentent donc un repli vers le sud. Pour couvrir leur fuite, Charles N’Tchoréré reste à Airaines avec une poignée de soldats. Après soixante-douze heures de combat, le natif de Libreville et quinze de ses hommes rendent les armes. Les Allemands sont en admiration. Ils ne s’attendaient pas à une telle résistance et leur surprise est grande de devoir traiter avec un capitaine des colonies. Mais contrairement au règlement militaire, certains d’entre eux veulent le séparer des officiers blancs. Charles N’Tchoréré proteste et revendique, en allemand, son statut d’officier. Un soldat sort son arme et l’abat froidement, malgré les protestations des prisonniers allemands qui venaient d’être libérés.
« Nos neveux seront fiers d’être français et pourront lever la tête sans honte »
Peu avant sa mort, Charles N’Tchoréré avait écrit à son fils Jean-Baptiste qui mourra, lui aussi, au combat, quelques jours avant la défaite des troupes françaises et l’armistice de juin 1940. Il lui dit : « Mon fils, j’ai là sous les yeux ta dernière lettre. Comme je suis fier d’y trouver cette phrase : Quoi qu’il en arrive, papa, je serai toujours prêt à défendre notre chère patrie, la France. Merci, mon enfant, de m’exprimer ainsi ces sentiments qui m’honorent en toi… La vie, vois-tu, mon fils, est quelque chose de cher. Cependant, servir sa patrie, même au péril de sa vie, doit l’emporter toujours ! » Et d’ajouter : « J’ai une foi inébranlable en la destinée de notre chère France. Rien ne la fera succomber et, s’il le faut pour qu’elle reste grande et fière de nos vies, eh bien, qu’elle les prenne ! Du moins, plus tard, nos jeunes frères et nos neveux seront fiers d’être français et ils pourront lever la tête sans honte en pensant à nous. » Au-delà de cette citation, c’est bien l’histoire de l’Afrique et de la France qui se mêle. Pour l’honneur et la liberté. Contre la barbarie et le racisme.